Durabilité, sophistication et sécurité.
Nous avons récemment contacté la designer, Gabriela Hearst. Alors que le confinement continue de plus belle, elle nous explique comment aller de l’avant, comment adopter une démarche durable dans la vie de tous les jours et comment les directeurs des grosses entreprises pourraient limiter le gaspillage. Celle qui ne suit jamais les tendances a passé son enfance dans un ranch, ce qui a fortement influencé la façon dont elle gère son entreprise de luxe. Un grand nom du design qui reste humble, a un style de vie tout à fait conscient et est une grande amatrice de Bob Dylan. Lisez en plus pour découvrir Gabriela Hearst.
Quelles sont les méthodes que vous avez apprises en grandissant dans le ranch de votre père, qui vous sert aujourd’hui d’atelier de production pour vos vêtements ?
Mon passé a été très formateur. J’ai grandi à la campagne avec ma mère, mon frère et mon beau-père qui étaient tous éleveurs. L’élevage fait partie de notre famille depuis des générations. Puisque personne ne travaillait dans le secteur industriel ou y était impliqué, tout le monde était éleveur. Bien sûr, aujourd’hui certains membres de la famille y ont fait carrière mais cela fait toujours partie de notre environnement. Nous avons grandi dans un endroit assez isolé à 2h20 de la ville la plus proche. Ma mère habite toujours dans le ranch qui appartient à ma famille depuis plus de 170 ans, nous sommes complètement en marge. Nous vivons de manière tout à fait durable du fait de notre style de vie utilitaire, ce qui veut dire que les choses doivent durer.
Je travaille dans la mode depuis 2002, ma marque Gabriela Hearst a été lancée en 2015 et nos valeurs ont toujours tournées autour de la durabilité et le fait de rester les mêmes. Cela peut prendre toute une génération afin de créer un produit de qualité, tout comme l’est le travail de ma famille. Il y a toujours cet esprit de survie, nous apprenons à aller de l’avant, les fermiers font bouger l’économie, ils apprennent à ne prendre qu’un certain nombre de bêtes dont ils peuvent s’occuper, nourrir, prendre soin d’eux, uniquement avec ce que la terre peut offrir, cela nous enseigne l’intégrité. Ce sont ces mêmes valeurs que nous avons introduit il y a 5 ans dans Gabriela Hearst, il n’y a pas si longtemps que ça, nos valeurs se sont renforcées. Cela n’a jamais été aussi important aujourd’hui avoir une marque durable et des produits qui durent, le meilleur du savoir-faire en Italie, pas de polyester, des fibres naturelles, diminuer l’utilisation d’eau pour le coton, lin, blackseed, un calendrier pour améliorer notre façon de produire avec un impact moindre sur la planète, un emballage bio, l’entreprise évolue, nos produits que vous pouvez recevoir en 2 semaines et qui vont sur notre site où le voyage de votre produit y est retracé.
Nous sommes actuellement en train de vivre quelque chose de nouveau pour notre génération. Selon vous, comment pouvons-nous réagir et aller de l’avant dans cette situation ?
En faisant attention et en étant vigilant. Réagir en paniquant ou stressant n’aidera pas notre système. Il y a tellement de fausses informations qui circulent et qui énervent les gens, il ne faut pas paniquer, mais prendre des mesures, essayer d’être vigilant et aider ceux qui en ont le plus besoin. Il est temps de travailler tous ensemble comme une communauté pour le meilleur.
Nous adorons la façon dont vous soutenez et aidez les femmes à s’émanciper, comme en Uruguay, Italie ou aux États-Unis. Nous sommes curieux de savoir ce qui vous inspire en tant qu’ « avocate » sur ce sujet ?
Mano of Uruguay était un projet spécial dont j’étais heureuse de faire partie. C’est un organisme de bienfaisance qui existe depuis une cinquantaine d’années qui lutte pour l’émancipation féminine. Notre théorie se base sur l’idée que si vous donnez un travail à une femme, combien de personnes pourront par la suite en bénéficier, cela peut se répandre sur d’autres services, soutenir des familles et l’économie dans son ensemble. Cela fait 50 ans que Mano of Uruguay travaille avec un modèle de succès concernant la création d’une association de bienfaisance, et comment mieux servir les femmes et les employer.
Pour quelles femmes créez-vous vos pièces et quel genre de femme incarne la devise de Gabriela Hearst ?
Nos plus grandes clientes sont des femmes d’affaires qui se retrouvent dans des contextes exigeants et veulent être présentables, sans pour autant tomber dans l’ennui. Elles ne veulent pas de la tenue professionnelle classique, elles veulent un peu d’originalité dans leur garde-robe. Nous commençons avec la coupe, je pense que toutes les femmes en ont besoin. Nous ne suivons pas les tendances, mais ce que notre cœur nous dicte et ce que nous pensons que les femmes veulent. Notre but est de les mettre en valeur tout en faisant attention à ce qu’elles se sentent elles-mêmes dans nos vêtements. Nous essayons de nous soucier de qui porte nos pièces. Nous adorons les femmes qui utilisent leur célébrité pour illuminer et aider les autres. Cela va des actrices aux artistes. C’est un immense honneur de valoriser les femmes à travers nos vêtements. Nous nous sentons bien, et nous imaginons des vêtements qui font les femmes se sentir bien. Notre passion pour notre marque est difficilement démontrable à travers une plateforme digitale, tout est question de bon sens. Nos pashamas et cachemires sont fabriqués par des artisans en Italie qui travaillent dans ce domaine depuis des générations, vous enfilez un de ces sweat-shirts et vous le trouvez tellement luxueux. La façon dont nos vêtements nous mettent à l’aise, changent notre humeur et nous ontt nous sentir mieux.
Concernant la durabilité et l’urgence de réagir, comment pensez-vous que la mode évoluera ces prochaines années ?
Selon mon expérience, quand on parle de pratiques durables, il faut commencer avec quelqu’un avec qui c’est possible. Par exemple, une grosse entreprise avec peut-être 20000 employés peut effectuer un changement en décidant simplement de ne plus utiliser des bouteilles en plastique, ils peuvent opter pour le recyclage et le rechargement. Au bout du compte, au lieu d’utiliser environ 160 millions de tonnes de ressources naturelles pendant un an, nous pouvons en utiliser uniquement 3% par an. National Geographic a d’ailleurs publié un article appelé « The End of Trash » qui est vraiment révélateur. Il y a tellement de ressources naturelles que nous pouvons utiliser et réutiliser qui proviennent des déchets. Si tout était durable ce ne serait pas plus cher pour l’entreprise, adopter une approche durable et sans gaspillage en réalité ne peut que bénéficier aux entreprises. Une grosse entreprise est capable de fabriquer 58 millions de produits par an, mais combien est-elle capable d’en vendre ? Si l’on regarde le secteur alimentaire, 1/3 de la nourriture à NY est gaspillé. Nous devons gaspiller moins, prendre conscience de ce que nous consommons, consommer mieux et trouver sur quel point nous pouvons éviter le gaspillage. Dans la mode, nous devons regarder vers le passé, ralentir et améliorer nos mentalités.
Qui sont vos muses ?
Ma mère. C’est une personne qui possède une beauté naturelle et l’utilise durant ses rodéos. Elle est très robuste, elle sait comment traiter les gens. Elle ne juge pas, personne ne vaut plus qu’une autre et elle est toujours très diplomate et respecte tout le monde. J’admire vraiment mon amie, Laurent Hutton. Elle est la femme la plus cool au monde et possède une beauté naturelle. Elle est la personne qui porte le mieux la robe et les sneakers. C’est une personne incroyable, un être humain extraordinaire. Elle continue de s’occuper de sa mère, sa sœur et sa tante du mieux qu’elle peut.
Comment votre engouement pour la mode est-il apparu ?
Tout ceux qui me connaissent me voyaient finir dans la mode. J’ai toujours été fascinée par ce qui m’entoure, je ne regardais pas la télé, j’écoutais la radio, je lisais et me perdais dans les pages de mes livres. Je passais beaucoup de temps à imaginer, dessiner et peindre. Ma mère avait découvert des pages et des pages de collections de chaussures que j’ai dessiné étant petite. Il n’y avait pas d’école de mode en Uruguay. Je pense vraiment que les choses viennent à vous, au lieu que vous les choisissiez. La mode est un domaine que j’ai dû étudier depuis les bases, ce qui s’est révélé être l’une des choses pour lesquelles j’étais douée, commercialement et artistiquement parlant. Mon but est d’être douée dans ce que je fais, de toutes les façons. Pour créer un environnement durable et sensible, pour les personnes qui achètent mes produits établissant ainsi une responsabilité de la part de nos investisseurs, clients et nos propres employés.
Selon vous, la mode influence-t-elle la politique et vice versa ?
Beaucoup de changements dans la mode sont issus de changements sociaux. Les femmes ont cessé de porter des gants et des chapeaux durant les manifestations françaises en 1969. De nombreuses choses se sont passées à cause des changements culturels. J’ai étudié la communication et la production audiovisuelle et j’ai passé énormément de temps à étudier le mouvement Free Love et bien-sûr, Woodstock. Ma mère était elle-même d’une certaine façon hippie. En parlant de Woodstock, nous sommes actuellement en train de travailler sur un imprimé tie & dye pour notre nouvelle collection d’une façon qui n’a jamais été faite auparavant.
D’ailleurs, quelles sont les femmes que vous admirez ? Lesquelles ont-elles influencé la personne que vous êtes aujourd’hui ainsi que vos croyances ?
Beaucoup de femmes ont changé ma manière d’être et m’ont rendue une personne meilleure. De ma mère à ma meilleure amie, collègues de travail, tout type de femmes. Elles ne sont pas nécessairement des personnes connues. Je suis toujours impressionnée par les femmes et ce qu’elles sont capables d’accomplir. J’admire mes amies d’enfance. L’une de mes nouvelles amies a une personnalité que j’ai tendance à recopier dans mon inspiration et mon sens de l’amitié. C’est quelqu’un que j’admire énormément, elle est intelligente, empathique, compréhensive et aide ceux qui l’entourent. Vous pouvez être intelligente, mais votre cœur doit être pur.
Vous avez dit que vous lisiez énormément durant votre enfance. Quels sont vos auteurs favoris ?
Je continue à lire aussi encore aujourd’hui, mais je n’ai pas vraiment le temps et la concentration pour lire beaucoup. C’est assez étrange, je sens que mon corps est en alerte. Mais voici certains de mes auteurs préférés.
Auteurs :
Jorge Luis Borges – « The Brand book » de Gabriela Hearst en réalité possède une citation de « 2 English Poems ».
Bob Dylan – Je sais que beaucoup de gens le considère comme un musicien, mais je le vois comme un parolier et un poète extraordinaire. Je possède « The Complete Works » de Bob Dylan et j’adore l’ouvrir et lire les paroles à différents moments de la journée. Cela change mon humeur.
Récemment, le livre « The Overstory » écrit par Richard Powers en 2018 m’a complètement retournée et changée. Il a changé ma manière dont je vois les arbres. C’est une fiction avec énormément d’informations, et cela vous change vraiment. Vous ne vous y attendez pas, mais il le fait.
Qu’il y a-t-il sur votre playlist ?
Vous allez rire…
Bob Dylan – Everything is broken
The Rolling Stones – Emotional Rescue
Alison Krauss et Robert Plant – Raising Sand
Tennis – Please don’t ruin this for me
Avec qui aimeriez-vous collaborer ? Aussi bien dans le milieu de la mode qu’en dehors.
Et bien, j’ai la chance d’avoir des amis très disciplinés, je m’inspire toujours d’eux. Daniel Hume, l’un de mes très bons amis est chef Michelin. Il y a énormément de corrélations dans ce que nous faisons comme notre sens du service et notre esprit d’équipe. Je ne parle pas d’être chef ou designer, mais par rapport à avoir une idée et la réaliser. Cela requière de l’expertise et de l’expérience. J’aimerais collaborer avec lui. Il a un sens sophistiqué et sans prétention de l’art et de la nourriture. J’adorerais travailler sur un restaurant pop-up, un événement, quelque chose qu’on aurait imaginé tous les deux. Nous avons des goûts tellement similaires.
Admirez-vous d’autres designers éco-responsables ?
Il y a un paquet de nouveaux designers qui sont durables. Par exemple, si l’on regarde les nommés au prix LMVH cette année, la plupart conçoit de manière durable. Aujourd’hui, tu ne peux pas être designer si tu n’es pas durable. Les nouveaux designers intègrent la durabilité dans leurs productions. C’est une nouvelle vague de designers et c’est incroyable, ils en parlent tous. Pas uniquement un, mais tous. Durant notre premier défilé, les gens ne parlaient pas de durabilité, maintenant tout le monde en parle. Je pense que tout le monde commence à penser de cette façon. Qu’est-ce que je peux créer de manière durable ?
Selon vous, comment les autres marques peuvent-elles intégrer la notion de durabilité dans leurs devises ? Quels sont les changements actuels que vous observez ?
Je pense que si c’est essentiellement une question de savoir comment je veux faire marcher mon affaire, l’ancien modèle ne fonctionne plus. Les gens parlent d’augmenter les livraisons, les achats à chaque saison, les pièces hivernales arriveront quand il fera froid et non en plein milieu de l’été. Lentement, on observe un changement pour le meilleur. Je pense que ce moment conduira à des changements. Tout le monde est dans l’attente, nous ne pouvons pas vraiment acheter pour le printemps. Les pièces ne seront pas soldées plus tôt que d’habitude. Quelques changements vont apparaître.
Si vous pouviez aller dîner avec 3 personnes (vivantes ou mortes), qui inviteriez-vous et où iriez -vous ?
J’inviterais Jorge Luis Borges, Nina Simone et Bob Dylan. Deux américains et deux latinos. Nous serions forcés d’aller au restaurant car je ne cuisine pas très bien. Probablement, nous irions chez Sant Ambroeus à New York pour un délicieux repas italien. Et je prendrais sûrement un plat de pâtes Cacio e pepe.
Quels sont vos futurs projets pour Gabriela Hearst ?
Nous essayons d’ouvrir notre premier magasin en Asie, mais du fait de la situation actuelle, nous rencontrons quelques complications. Nous continuerons dans notre lancée pour aller de l’avant. Notre prochain objectif est d’avoir une présence physique et digitale en Asie pour 2020. C’est notre but principal.
Nos remerciements à Gabriela Hearst.
Toutes les images sont fournies par Gabriela Hearst.